par Gérard DECORET
♦ Article paru dans le n° 86 de la Revue Musiques Mécaniques Vivantes de l’AAIMM ♦
Michel Nallino, dans sa très intéressante “Histoire de la Musique Mécanique à Nice”, nous a dit ceci sur Emile Tadini : ” il crée une manufacture de pianos automatiques en 1903, rue Ségurane à Nice. En 1905, cette manufacture est installée rue Assalit et on la retrouve ensuite sous le nom de « Manufacture de Pianos Automatiques Tadini et Cie » au 25 rue Arson et rue Beaumont.
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Les fréquents déménagements de cette manufacture suggèrent qu’elle fut de petite taille. En 1906, Tadini la vend à Jules Piano.
De 1909 à 1913, il est associé à Joseph Nallino. En 1914, il est installé rue Cassini. Après la première guerre mondiale, il épouse une fille de Florent Nallino (frère de Joseph).
Dans l’entre-deux-guerres, il continue à travailler pour les manufactures niçoises de pianos automatiques, fournissant des compositions et marquant des cylindres. Au début des années 1940, il est encore inscrit dans les annuaires professionnels en tant que compositeur.
Comme on le voit, Emile Tadini fut très inconsistant en affaires. Ce n’était pas sa spécialité : il fut un véritable génie musical. Compositeur, arrangeur, spécialisé dans l’adaptation de la musique aux pianos automatiques, art dans lequel il fut le maître. Il laissa une forte empreinte dans la musique mécanique niçoise.
On sait par ailleurs que déjà, un peu avant 1900, travaillant pour Jules Piano et la famille Nallino, il avait tenté mais en vain, de s’associer avec un ami, Antoine Gramaglia dont le fils Raymond devint plus tard directeur commercial et technique des Ets Foray et Storace, constructeurs de pianos mécaniques, pour monter une petite entreprise à Nice.
Et par d’autres, il est rangé dans la catégorie des « facteurs » qui n’ont été le plus souvent qu’assembleurs ou simplement commerçants. Plutôt un musicien et accordeur de pianos que facteur.
Pourtant il était bien inscrit en 1903 « fabricant de pianos » rue Ségurane à Nice et en 1905 « Tadini et Cie Pianos » rue Assalit.
Alors… ??
A-t-il été simple accordeur ? A-t-il été simple revendeur de pianos automatiques fabriqués par une maison niçoise ? A t’il été seulement noteur/compositeur pour les cylindres de pianos automatiques et rouleaux de papier perforé ?
Ou a-t-il réellement fabriqué de tels appareils ? ?
Aujourd’hui, je peux affirmer, sans prendre de risques, que cette dernière hypothèse est la bonne au vu de ce piano automatique déniché dans la campagne niçoise et promptement ramené dans la région lyonnaise.
Dimensions :
Deux indices sérieux permettent de progresser dans cette direction :
- 1 Sa carte des airs, élégante et sobre qui est au nom d’E. Tadini et Cie 13, Rue Lépante à Nice.
- 2 Sur le cylindre se trouve une étiquette indiquant : Grande Fabrique de Pianos E. Tadini et Cie -13 Rue Assalit (sa seconde adresse en 1905) Pianos Automatiques, à manivelle et autres.
Mais aussi, pour qui connait bien les pianos automatiques, des détails de fabrication et de conception, absolument pas vus sur les pianos sortis des grandes fabriques niçoises :
Son moteur mécanique dont le régulateur à deux masselottes seulement, est disposé horizontalement et non verticalement comme sur le moteur des phonographes à cylindres ou certains orchestrions d’origine tchèque. Je pense qu’il est de fabrication italienne.
Une décoration des panneaux noirs, par des filets dorés très fins, denses, rappelant les décorations italiennes (Emile était Italien de naissance). Sur le panneau du bas se trouve le blason de la ville de Nice avec la mention en latin NICEA CIVITAS, (Ville de Nice) et sur celui de la façade, plein bois au lieu d’être grillagé avec une marine peinte, comme d’habitude, il y a une effigie de Mozart en relief.
Des airs de musique pas trop “populaire” (voir la photo N° 3) : pas de charleston, ni de java, ni de onestep, mais : la valse de Faust, valse de Madame Angot, Mignon (Connais-tu le pays), Polka de Boccace, Marche des Petits Pierrots, la Czarine, la Vague, Galop Bucéphale… Je remarque qu’aucun nom de compositeur n’y est mentionné comme par exemple Olivier Métra pour la Vague. Etait-ce pour échapper au versement des droits d’auteurs dont il était déjà question à cette époque ? Chacun des 10 airs a été très certainement adapté et noté par Emile.
Fonctionnant à monnayeur, fente pour les pièces située sur le dessus du piano, donc bien pour un lieu publique, plutôt « soft », pour intérieur discret il semble ( ?). Tout piano, 55 marteaux tous feutrés pelés, vraiment pas « bastringue ». Uniquement le son piano, pas de son dit « mandoline ».
Une longue barre comportant 23 étouffoirs par gravité, de grand calibre, allant bien au-delà des cordes filées, ce qui est bien, mais inhabituel pour ce type d’instrument, allant dans la recherche d’une bonne musicalité « ouatée ».
Beaucoup de groupes de cordes par 4. Il y en a 21, ce qui représente 38% du total des groupes de cordes, par 2 pour les basses et par 3 pour les médiums. Inhabituel également : tradition italienne oblige.
Barreaux du barrage d’une section très importante, pas vue ailleurs, attestant de la solidité et de la stabilité désirées pour ce piano de taille pourtant moyenne.
Des cordes filées pour les basses d’une telle qualité, qu’elles ont pu être conservées, ce qui est assez rare après plus de cent ans.
Elles sont faites d’une grosse âme d’acier et le fil de cuivre utilisé pour le filage est très mince.
Conclusion :
Depuis une bonne cinquantaine d’années de recherches, j’ai eu très souvent l’occasion de trouver des pianos mécaniques ou automatiques de toutes les fabriques de Nice : Joseph Nallino, Veuve Amélotti, Foray et Storace, Jules Piano.
Mais c’est mon premier « Tadini » et probablement le dernier car sa production a du être très limitée et il ne doit pas, statistiquement parlant, rester beaucoup de ces pianos automatiques.
Celui-ci a le numéro 1075. Si l’on considère que presque tous les fabricants de pianos et autres IMM ont débuté leur numérotation par le numéro 1000, le piano objet de cet article serait donc le 75ème fabriqué par Emile Tadini.
Ce chiffre me parait plutôt normal pour une petite fabrique n’ayant duré que quelques mois ou années, mais c’est impossible à confirmer, faute d’archives.
Cependant, il est bon de laisser planer doute et mystère sur l’activité industrielle d’Emile qui fut, rappelons- le, le meilleur noteur pour la musique mécanique de la Riviera pendant une quarantaine d’années.
J’espère néanmoins qu’un autre collectionneur de musique mécanique ou un heureux possesseur d’un Tadini, relève mon défi !