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par Jean-Marc LEBOUT et Hervé LEFEVRE

♦ Article paru dans le n° 97 de la Revue Musiques Mécaniques Vivantes de l’AAIMM ♦

Votre équipe de l’AAIMM a activé ses excellentes relations internationales pour organiser ce week-end de visites aux Pays-Bas. Gérard a coordonné tout cela avec son brio habituel et la quarantaine d’adhérents, qui se sont rejoints à Breda, n’ont pas eu à le regretter et sont même allés de surprises en surprises. Mais avant de vous relater nos découvertes, nous tenons à remercier chaleureusement nos hôtes successifs, Monsieur et Madame Heesbeen de Tilburg, Monsieur et Madame Krijnen d’Oosterhout et Monsieur Godderis d’Utrecht qui nous ont accueillis à bras ouverts et avec une gentillesse incomparable. En votre nom à tous, encore merci à eux pour la réussite complète de cette dernière animation de 2015.

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Voir la vidéo des principaux moments de cette animation

Premier arrêt, le samedi matin, à la ‘Nederlands Boekorgel Centrum’ qui est aussi connue, aux Pays-Bas, sous les initiales NBC.

Cet atelier familial est spécialisé dans la fabrication et la restauration d’orgues et ce, depuis cinq générations, c’est dire l’expérience acquise dans ce domaine. Passés la discrète porte d’entrée, nous pénétrons dans un petit bar qui fait immanquablement penser à ces petites salles de café de village, aujourd’hui bien moins nombreuses, mais où toute la population venait se retrouver pour faire la fête, se divertir au son de musiciens ou d’instruments de musique mécanique d’abord, de jukes box ensuite. Aujourd’hui, deux orgues laissent un peu de place à quelques sièges et tables où sont disposées des assiettes avec des tranches de cake mises là, avec attention, à notre intention.

L’un des orgues est un des premiers Decap 105 T Electrone fabriqué par Decap Anvers dans les années 1950. Avant l’introduction des orgues électroniques Hammond, Decap s’adapte à l’électronique et à cette sonorité qui rencontre les faveurs du public et donc intéresse les tenanciers de dancings de cette époque d’après-guerre. La lecture est toujours à carton perforé.

Cet orgue Decap Electrone est intéressant parce que représentatif de l’introduction de l’électricité pour obtenir aussi de nouveaux sons.

Les premiers orgues avec une musique électronique

L’atelier de Théophile Mortier, décédé le 28 décembre 1944, vivote encore quelques années, puis est mis en vente comme le montre une insertion publicitaire dans un journal local de décembre 1951. La vente s’étale dans le temps mais une grande partie est rachetée par René Van den Bosch de Lillo (petite ville flamande située en bordure de l’Escaut près d’Anvers) y compris la marque ‘Th Mortier’ le 7 mai 1954. René Van den Bosch, fils d’un petit loueur d’orgues, va suivre la voie de son père mais il va initier des recherches pour introduire l’électronique dans la sonorisation des orgues qu’il va se mettre à construire (nombre évalué aujourd’hui entre 50 et 70). Le but est surtout financier, produire à moindre coût et diminuer le prix d’entretien des orgues. Decap Anvers va évoluer dans le même sens et les deux fabricants seront concurrents sur ce marché particulier. René Van den Bosch est peu connu parce qu’il va utiliser le nom Mortier sur ses orgues mais, petit détail, pas Th. Mortier.

L’autre est un ‘Orgue Orchestre’ Gasparini dont Toon Heesbeen vient d’achever la restauration ce qui permet de mesurer son talent dans ce domaine. L’un des cartons joué est une valse musette intitulée : ‘Là où il a des frites’ paroles de Lucien Dommel et musique de Leo Daniderff. Cet air, publié en 1935, est donc postérieur à la date de construction de cet orgue.

A l’arrière de cette salle de café reconstituée, s’étendent les ateliers proprement dit. Dans ces pièces lumineuses et équipées de machines spécifiques au travail du bois, nous voyons toutes sortes d’éléments mécaniques ou décoratifs qui serviront à terminer les orgues dont les carcasses sont entreposées au fond de la pièce. Si la fabrication, c’est le domaine de Toon Heesbeen, son épouse, Jolanda, s’occupe plus spécifiquement des peintures décoratives. Elle travaille sur les nouvelles fabrications mais exécute aussi des restaurations sur des orgues anciens. C’est actuellement le cas sur des boiseries d’un gros orgue Gavioli, propriété du musée d’Utrecht.

 

 

 

Au-delà de l’atelier, un grand hangar est une vraie caverne d’Ali Baba… orgues démontés en attente d’une restauration mais surtout une série d’orgues mis en dépôt ici et qui jouent merveilleusement bien. Parmi ceux-ci ; le ‘De Grote Cap’ à l’origine un orgue 75T construit par Decap Anvers, qui subira de nombreuses modifications au cours de son existence et que Toon remettra dans son état d’origine ; le ‘Violetta’ est un orgue construit par Théo Heesbeen, le père de Toon.

Compact, pour lui permettre de tenir au centre du manège qu’il sonorisait, le très sonore orgue de foire de Carl Frei (de 1934) a appartenu à la famille de forains hollandais Hoefnagels de Breda. Restauré, il attend de rejoindre un musée de Breda qui s’en est porté acquéreur. Un autre orgue Carl Frei mais de danse cette fois-ci porte le nom de Louis Holvoet un loueur d’orgues bien connu. Les orgues jouent à tour de rôle à notre plus grand plaisir. Leur qualité de jeu est irréprochable et le répertoire joué leur convient parfaitement.

Aux murs sont accrochés de nombreuses photos, documents qui retracent l’histoire de cette famille néerlandaise. Celle-ci débute au milieu de XIXe avec Daniel Heesbeen. Bien en vue dans la salle de café, un portrait peint et d’époque nous le présente tournant un petit orgue portatif, une sébile à la main. Son fils également dénommé Daniel poursuit sur les traces de son père, ils sont, l’un et l’autre, connus sous le sobriquet de ‘Langedaan’ que je traduirais par ‘longue perche’, pour caractériser leur physique grand et mince. La suite de la lignée est assurée par Lambertus Antonius, puis par Théo Heesbeen qui est d’ailleurs présent avec son épouse lors de notre visite. C’est lui qui me donne ces intéressantes précisions généalogiques. Son fils Toon est l’actuel dépositaire du nom.

Nous n’avons pas vu les deux heures de notre présence passer, il n’y a pas eu un seul temps mort…

La famille Heesbeen nous a très chaleureusement reçus et même si la difficulté de langage a parfois rendu les discutions un peu plus difficiles, la passion des orgues permet toujours de se comprendre, même à demi-mots. Belle entrée en matière que cette première visite !

Passage à l’hôtel pour le repas de midi mais nous n’avons pas beaucoup de temps ni pour digérer ni pour une petite sieste que nous revoilà dans le bus en direction d’Oasterhout et sa zone artisanale.

Nous descendons du bus au pied d’un vaste bâtiment industriel dont l’aspect neutre ne trahit en rien ce que nous allons y découvrir.

VISITE 2

Madame Hanneke Krijnen nous accueille à l’extérieur et nous invite à entrer. L’étonnement est total… Nos yeux embrassent ce haut et vaste hall industriel, divisé en plusieurs zones, et ils ne peuvent appréhender qu’une fraction des instruments qui s’y trouvent. Un petit manège pour enfants tourne lentement, l’orgue de cinéma Compton, mis en route par Monsieur Krijnen, nous met immédiatement dans l’ambiance. Les surprises iront croissantes au fur et à mesure que nous nous répartirons dans ce vaste espace où nous pourrons évoluer à notre guise.

L’orgue s’arrête et Monsieur Henri Krijnen nous accueille à son tour par quelques mots en français, lointaines réminiscences scolaires et comme il le reconnait lui-même : ‘qui ne dépasse plus aujourd’hui la lecture d’un menu de restaurant’.

C’est en anglais, langue qu’il pratique aisément puisque sa carrière professionnelle s’est en grande partie faite à Las Vegas aux Etats-Unis qu’il poursuit la présentation de sa collection. Jean-Pierre Arnault, notre Président, les remercie de nous recevoir et remet à Madame Krijnen, le panier garni de produits français que nous leur avions réservé.

Si cette visite a été possible, c’est en grande partie grâce à l’intervention de Marijke Verbeeck qui connait bien nos hôtes et qu’elle a convaincu de nous présenter leur collection. Indisponible ce samedi, c’est son fils Jeffrey et sa belle fille qui sont présents.

Cela nous donne l’occasion de leur remettre sous la forme d’un diplôme de l’AAIMM le prix Musica Mecanica que nous avions décerné à Johnny Verbeeck à l’occasion de notre dernière assemblée générale aux Gets et que nous n’avions pas pu lui remettre. Il est utile de rappeler que le prix Musica Mecanica rend un hommage tout particulier à son récipiendaire dans son action internationale en faveur de la musique mécanique.

En effet, la manufacture Verbeeck, depuis plusieurs générations a développé son rayonnement en Europe et grâce au talent de Johnny a conquis le marché américain. Le lieu de remise de notre marque de reconnaissance est donc d’autant mieux choisi que c’est ici que se trouve l’orgue ‘Le Cupido’, l’ultime instrument que Johnny a restauré conjointement avec son fils Jeffrey.

L’orgue joue merveilleusement bien, nous ne pouvons qu’avoir une pensée pour les orfèvres qui lui ont redonné vie et se réjouir que la relève de Johnny soit aussi bien assurée.

A l’origine, cet orgue est un Limonaire datant de 1890 ou 1891. Récupéré après-guerre par Henk Goosling, cet orgue de danse est transformé en orgue de rue, il est disposé sur une typique charrette à trois roues et loué pour des prestations en rues. Selon le tourneur qui en a eu l’usage, l’instrument sillonnera les rues sous différentes dénominations : ‘De Cupido’ ou ‘De Bedstee’ et ce, jusqu’en 1978.

Parce que nous ne sommes pas dans un musée mais dans une collection privée qui se veut, aussi et d’abord, être un endroit de vie et d’agrément, le lieu propose de nombreux sièges où il fait bon de s’installer confortablement.

Là, dans des fauteuils sous une tonnelle ; ici, dans des gondoles foraines multicolores mais, quel que soit l’endroit choisi, nous sommes bercés par la musique, les musiques : un Mortier de danse, un Decap Robot de café, un Koenigsberg, un orchestrion Arburo…

Dans un coin, un orgue Poirot à cylindre… dans un autre un Limonaire Fournier avec un carton de Marc… Sur des étagères, est exposé une collection de machines à sous, réminiscence des activités professionnelles de notre hôte.

Au fond du local, un long bar en bois sculpté avec une dizaine de tabourets nous permet de prendre agréablement le café mis à notre disposition.

Sur l’estrade, dans une loge, un orchestre automate de six musiciens, de grandeur nature, accompagne un pianiste, lui aussi automate. Avec un réalisme sensationnel, chaque musicien prend les attitudes typiques de l’instrumentiste qu’il imite. Cet automate a été construit pour le bar d’un grand hôtel.

Mais notre étonnement, que dis-je notre stupéfaction, montera encore d’un cran quand Monsieur Krijnen nous introduira dans une seconde pièce presque aussi grande que la première mais moins haute de plafond.

Y sont disposés contre les murs, des orchestrions de café et, alignés sur deux rangées au centre du lieu, des boites à musique à disque verticales, des grues et jeux de force forains, des boites à musique… Parmi les orchestrions, beaucoup de modèles de fabricants américains (Wurlitzer, Seeburg) ce qui reste assez rare en Europe et n’en est donc que plus intéressant.

Parmi ceux-ci, j’ai remarqué deux instruments qui, outre la musique jouée, proposent un jeu de course de chevaux : le Seeburg Grayhound race piano et un National Automatic Music Company.

Parmi les boîtes à disque, il y a aussi quelques raretés : une Lipsia à disque en zinc, une Symphonion dans un élégant meuble différent du modèle classique, il est référencé ‘Style 118GI’ dans le catalogue du fabricant et aussi une belle Olympia sortie des ateliers de Frederick G. Otto de Jersey City, plus connu pour la production du modèle Capital cuff box à cylindre conique. Une superbe boîte de gare avec son cartel agrémenté de trois petites danseuses est surmontée d’un manège.

Autre pièce peu courante, le Fidélio est un montage réalisé à Berlin ; il utilise des cartels Mermod frères insérés dans un meuble à monnayeur qui rappelle les meubles verticaux pour mouvements à disque.

Je ne peux passer sous silence la présence d’un très sympathique automate Pneuma

Pour les collectionneurs et amateurs que nous sommes tous, chaque instant de cette visite a été un vrai ravissement et ceux d’entre nous qui n’ont pas encore eu la chance ou l’occasion de visiter de grandes collections américaines, ont ici pu gouter à l’état d’esprit, à l’ambiance faite de sons, de lumières, de couleurs, de mouvements qui y prévalent.

Monsieur et Madame Krijnen nous ont ouverts leur collection qui par sa taille et sa variété en fait, à ma connaissance, l’une des plus belles collections privées d’Europe. Un partage que nous ne sommes pas prêts d’oublier.

Soirée au restaurant de notre hôtel, ma foi assez calme. Guy Catin et son Cautinophone entrainent quelques-uns de nos convives hollandais et belges néerlandophones à pousser la chansonnette sur des airs populaires de leur pays. Guy a, en effet, fait noter des rouleaux avec ce type de répertoire.

 

 

 

VISITE 3

Notre seconde journée est entièrement consacrée à la visite du Musée d’Utrecht, un autre joyau de la musique mécanique. Les collections sont impressionnantes avec une attention particulière aux pendules XVIIIe à musique. Quelques petits salons à l’ambiance intimiste les mettent bien en valeur en ayant le souci de dévoiler les mécanismes musicaux quand c’est possible.

Nous sommes accueillis et guidés pendant cette journée par Monsieur Alberic Godderis qui fait partie de l’équipe des restaurateurs attachés au musée. Il y exerce ses compétences dans la restauration des orgues du musée mais ce sont tous les créneaux de la musique mécanique qui le passionnent. Comme il le reconnait, la richesse du musée n’y est pas étrangère… Et pour cause, chaque domaine de la musique mécanique comporte ici des pièces uniques et/ou rares qui ne peuvent qu’aiguiser un esprit curieux. Ces commentaires vont donc bien au-delà de la visite standard du musée et c’est dans le détail qu’il nous montre les pièces qui lui tiennent à coeur et qu’il connait de manière approfondie.

Nous débutons dans la galerie des orgues de rue si populaires en Hollande jusque dans les années 80. Cet attrait assurera la survie de nombreux orgues et principalement des gros orgues de danse qui seront reconstruits et adaptés à leur nouvelle destination. Carl Frei à Breda et Gijs Perlee à Amsterdam se sont faits une spécialité de ce type de travail.

Alberic nous fait jouer, ou plutôt il tourne la roue d’un splendide orgue Joseph Bursens, un 70 touches des années 1920 et cède volontiers la main à quelques-uns d’entre nous pour jouer quelques cartons. Présenté au public, face arrière visible, un orgue Limonaire 52 touches est resté proche de son état d’origine, même si reconstitué à partir d’éléments de deux Limonaire différents, seul un jeu de flûtes de type ‘Vox Humana’ lui a été rajouté, ce que Limonaire n’installait pas. Cet orgue, marqué 4367 sur certains éléments permet de le dater vers 1911. A noter, la présence dans la même salle d’un piano automatique Continental de Hofmann et Czerny, ce fabricant viennois dont Jean-Luc Alexandre et Anthony Chaberlot nous ont fait une intéressante présentation dans MMV 95.

Disposé dans la nef centrale d’une église, qui tient lieu de musée, le Weber Maesto souffre du volume trop grand qui lui est offert alors que l’orgue de foire allemand ( Le double Ruth) qui est mis dans le coeur l’emplit parfaitement.

Tout instrument rend le meilleur de lui-même et charme son auditoire quand toutes les conditions pour son usage sont réunies.

Alberic nous signale d’ailleurs que l’instrument va être relocalisé à un endroit plus approprié dans le musée.

Deux petites pièces, un peu exiguës pour notre groupe de quarante personnes, mettent en valeur quelques beaux orgues de salon. Prisés par l’aristocratie et la haute bourgeoisie du début du XIXe siècle, ces orgues, montés dans des secrétaires ou d’autres belles ébénisteries, sont parfois agrémentés d’une pendule.

Après la pause du déjeuner, Monsieur Godderis nous ouvre les portes de l’atelier du musée. Avec intérêt, nous apprenons que l’équipe des restaurateurs refait et pointe des cylindres avec des airs contemporains. Ils le font pour des pendules à carillons à cylindres interchangeables mais pas (encore ?) pour des boîtes à musique. Cinq boites à musique sont disposées sur une grande table en bois autour de laquelle les amateurs peuvent aisément se répartir et profiter de l’écoute. Le choix est de qualité avec deux petites primitives, déjà à clavier d’une pièce, l’une marquée F Lecoultre sur le clavier et l’autre portant l’estampille Golay – F Lecoultre sur la platine. Toutes deux allient une fine notation et cette sonorité que je qualifie de ‘carillonnante’ typique de ces cartels qui ont un cylindre déjà tapissé d’une fine couche de ciment et un clavier aux lames très fines : un régal… Rare par son long cylindre, le cartel de Joseph Olbrich présenté montre que ce fabricant viennois a aussi tenté de diversifier sa production avec des boîtes à musique autres que celles destinées aux marchés des pendules à horloge. Elle est musicalement moins attrayante que les deux premières. Une présentation de cartels qui s’est faite dans de bonnes conditions d’écoute.

Le clou du musée reste toujours la salle des orgues de danse où les cinq monstres nous rappellent les heures de gloire des orgues mécaniques.

Trois des cinq orgues de la salle de danse. A gauche, l’Aalster Gavioli un orgue 65 touches construit en 1905 et destiné à un établissement café-dansant en Belgique. Il est encore jouable manuellement. Au centre, l’orgue de Louis Hooghuys, un 90 touches de 1913 (Grammont – Belgique). A droite, le Carl Frei 105 touches, surnommé de Schuyt du nom du forain qui en a commandité la construction faite à partir d’éléments prélevés sur un Mortier 92 T.