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par Philippe BEAU

♦ Article paru dans le n° 85 de la Revue Musiques Mécaniques Vivantes de l’AAIMM ♦

Il est né son nouveau piano…

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On pourrait en effet transformer les paroles de ce célèbre chant de Noël pour annoncer la re-naissance du nouveau piano automatique de Marcel Mino.

Un beau “bébé” de 300 kilos qui répond au joli nom de…

=> Voir la vidéo du piano automatique Foray-Storace

Qui es-tu donc Marcel Mino ? Ou, le portrait d’un homme heureux !

Vue générale du piano automatique, Marcel Mino à son côté.

Pour ceux qui n’ont pas la chance de connaître Marcel Mino, laissez-moi vous le présenter en quelques mots, et ce, à la hauteur de son talent et de sa générosité.

Originaire de la région lyonnaise, ajusteur-tourneur de formation, Marcel s’oriente rapidement vers le dépannage électroménager en tant qu’artisan jusqu’à la fin des années 90. Puis, tout naturellement il prend une retraite bien méritée. Mais il n’est pas de ceux qui restent inactifs, il lui faut bouger et surtout faire bouger ses dix doigts…

Le hasard le fait un jour acheter un piano mécanique qui demande forte restauration. Il n’y connait pas grand chose à cette époque mais qu’importe, il se lance et va devenir au fil des ans un véritable spécialiste dans le domaine. Il devient vite incontournable et bon nombre de pianos de France et de Navarre lui doivent aujourd’hui leur salut grâce à son doigté et à sa patience.

Mino, son nom rime bien avec piano. (Piano oui, mais mécanique ou bien automatique !)

Cet incomparable magicien de la mécanique s’intéresse maintenant depuis plus de 15 ans aux pianos qui ont fait les beaux jours des cafés/restaurants et autres dancings de la fin du 19ème jusqu’aux premières décennies du 20ème siècle.

Parler avec Marcel de sa passion s’est prendre le “risque” bien agréable soit dit en passant de rester de longues heures à l’écoute de son savoir technique et bien sûr à celle plus musicale cette fois de tous ses “enfants adoptifs”, ses 26 chers pianos tous en état de fonctionnement… Excusez du peu ! (Chiffre 2012, qui augmentera certainement…)

Intarissable mon Marcel… Du plus petit engrenage au plus gros, de la corde filée à la cheville à changer, rien ne lui fait peur, rien ne lui est inconnu dans ces instruments. Aussi, son grand plaisir n’est pas d’acheter un piano tout beau tout propre, certes non.

Il préfère de loin dénicher celui dont les marques de souffrance sont bien présentes et à qui, après de longues heures qu’il ne compte pas bien sûr, il redonnera une seconde vie.

Le cheviller à nouveau, tendre des cordes neuves, changer ou restaurer les marteaux, lustrer les boiseries sans en altérer la patine afin de conserver au mieux l’empreinte du temps passé, puis enfin, l’accorder et entendre battre à nouveau son “coeur” au sein de son atelier… A cet instant, il retrouve alors l’instrument tel qu’il fut à l’origine, en découvre les airs de valse, tango, foxtrot et autres qui firent la joie d’une génération passée.

C’est pour lui à chaque fois une renaissance, un grand moment d’émotion et de bonheur qu’il aime aussi faire partager à d’autres Il est bien de ces ouvriers aux “mains d’or” comme le chante si bien Bernard Lavilliers, de ces artistes/poètes que l’on ne se lasse pas d’écouter et d’admirer.

D’ailleurs, si son atelier reste son jardin secret et que les portes ne s’ouvrent qu’à quelques amis initiés, on peut retrouver régulièrement Marcel à l’Espace Musique Mécanique de Oingt en Beaujolais (Entre Lyon et Villefranche sur Saône) Souvent le dimanche après-midi, que le soleil brille, qu’il neige ou qu’il vente, il fait le bonheur des visiteurs par ses démonstrations sonores et explications techniques à l’appui, des quelques 30 pianos présentés en cet endroit. C’est un régal que de voir et entendre tous ces instruments parfaitement restaurés et accordés par le Maître des lieux.

Il n’hésitera pas à ouvrir chaque piano pour en faire admirer aux curieux ébahis la belle mécanique savamment remise à état d’origine. A signaler que ces pianos, comme il est inscrit sur chacun d’eux, sont en partie la collection privée du Maire actuel de la commune de Oingt, Antoine Duperray, et bien sûr celle de Marcel Mino pour l’autre partie.

Alors amis de M.M.V, si vous passez un jour par les monts du Beaujolais, n’oubliez pas de rendre visite à cet incontournable passionné qu’est mon Ami Marcel Mino. Vous en repartirez la tête emplie de merveilleuses mélodies et avec en plus au coeur, la joie et le souvenir d’une belle rencontre avec un homme sincère.

Mécaniques puis automatiques…

Avant de parler de sa dernière acquisition, intéressante cela va de soit, Marcel tenait à ce que nous fassions un petit point technique. Il est effectivement important de préciser ici la différence entre les modèles de pianos qui ont existé.

En effet, un amalgame est souvent fait entre pianos mécaniques, automatiques et voir même pneumatiques et ce, même par des amateurs “éclairés” de musique mécanique… De toute façon, un peu de révision ne peut pas faire de mal.

Déjà, un piano mécanique n’est pas un orgue de Barbarie, bien sûr !

L’orgue de Barbarie est bien plus ancien et même si certains fonctionnent avec un cylindre en bois, ils n’ont pas de corde comme les pianos, mais des anches ou des tuyaux. De plus, ils ont besoin d’air afin de produire des sons.

Au départ, les pianos sont purement mécaniques, c’est à dire qu’on les fait fonctionner en tournant à la main une manivelle, située en façade de l’appareil, prolongée d’une vis sans fin. Cela entraîne un cylindre de bois recouvert de clous. Au fil des ans, ils prennent du volume et sont munis d’instruments de percussion accompagnant le chant du piano proprement dit (Grosse caisse, caisse claire, triangle, grelots, sonnailles, wood-block)Ensuite, ils deviennent automatiques, en 1902 (Invention du fabricant italien Ottina et Pellandi de Novara) grâce à un moteur à ressort spiral (Comme dans les réveils ou les phonographes, mais en plus gros) qui, une fois remonté par une manivelle située cette fois sur le côté, puis, déclenché par une pièce de monnaie fait fonctionner le piano. Une sorte de Juke-Box avant l’heure…

Quoique ! Le Juke-Box, nom composé de Juke ou Jook qui désignait un établissement qui permettait de boire et de danser, situé au bord des routes américaines au 19ème siècle et de Box qui est la traduction de boîte, caisse fermée, qui, dans ce cas précis était une boîte produisant de la musique. Le 1er Juke-Box aurait fait son apparition dans ce genre d’établissements aux Etats-Unis en 1889, sous la forme d’un phonographe se déclenchant grâce à une pièce de monnaie. Il s’agirait donc là d’un appareil antérieur à nos pianos automatiques à monnayeur. (http://www.linternaute.com/dictionn…)

Quoiqu’il en soit la similitude entre les deux appareils est bien réelle puisque leur déclanchement musical et leur fonction sont basées sur les mêmes principes. Dans les deux, on introduit une pièce pour les faire fonctionner et le but est aussi de faire gagner de l’argent à son propriétaire tout en offrant un moment de plaisir musical à l’auditoire présent.

Mais revenons à nos pianos !

Sur le cylindre en bois de peuplier, chaque clou ou picot, 20 000 ou 30 000, judicieusement planté, vient au moment voulu, accrocher un marteau qui ensuite frappe une corde du piano afin d’obtenir le son désiré.

En ce qui concerne les pianos pneumatiques, plus ressemblants aux orgues ou aux harmoniums de par leur fonctionnement par pompes à air, leur jeu peut être manuel ou commandé par le défilement d’un rouleau de papier perforé. Le tout est d’une grande complexité technique, alors, c’est une autre histoire…

Voilà donc pour la révision technique !

Vous pouvez compléter toutes ces informations en allant dans les anciens numéros de M.M.V et sur http://www.dutempsdescerisesauxfeui… Voir même en contactant Marcel Mino au 04.78.90.32.87

Le dernier “enfant” de Marcel…

Vue de l’intérieur de la caisse du piano avec l’ensemble des accompagnements visibles : de droite à gauche : wood block, cymbale, grosse caisse, deux sonnailles, caisse claire et triangle.

Levons enfin le voile sur ce fameux dernier “enfant” de Marcel… Dernier pour l’instant, car cet insatiable passionné ne tardera certainement pas à se laisser embarquer dans une prochaine aventure ! Et c’est tant mieux…

Donc ce nouveau piano automatique est une création de la grande marque niçoise Foray Storace. D’après nos sources, cette société fut créée par Monsieur Foray et Monsieur Storace en 1912. Ils vont fabriquer des pianos automatiques mais également des orgues et étaient installés 28, Boulevard de Riquier – Nice.

Comme d’autres fabricants, ils auront des revendeurs sur toute la France et c’est pourquoi on retrouve sur le piano de Marcel l’inscription “A. Parmentier – Beauvais”. `

La société Foray Storace ne sera pas épargnée par les tumultes de la 1ère guerre mondiale et son activité cessera en cette période sombre.

L’entreprise renaitra quand même de ses cendres et portera par la suite la mention Société anonyme anciens établissement Foray & Storace, comme on peut le constater sur les deux documents en illustration.

Belle carte publicitaire à l’en-tête de la société Storay Storace.

Intéressant mandat de paiement de la location d’un piano par un cafetier de Nantes.

Trouvé chez un brocanteur de la région lyonnaise, ce piano est un modèle imposant qui était destiné aux dancings et autres lieux importants car très puissant, d’une sonorité telle que sa place n’était pas envisageable dans un petit estaminet de village. Son état était peu engageant et il devait traîner dans le dépôt du brocanteur depuis pas mal de temps.

Ce qui décida Marcel à l’acquérir, c’est que les deux sommiers et la table d’harmonie étaient encore bons, mais pour le reste, il lui fallu retrousser ses manches afin de lui donner l’aspect actuel. Il est d’une hauteur hors fronton de 173 cm, large de 153 cm et d’une profondeur de 66 cm. Techniquement il est très complet et pouvait rivaliser avec un petit orchestre.

Composé de 70 marteaux dont certains venaient frapper un triangle, une caisse claire, une grosse caisse, une cymbale et des wood-block. En plus, il est muni de deux jeux de sonnailles ce qui est peu courant sur ces appareils.

Ce profil de femme est l’élément décoratif central du panneau de façade du piano.

Un décor floral souligne les ouïes de gauche et de droite du même panneau central.

Son aspect extérieur est aussi très intéressant car il possède un certain nombre de particularités qui le distingue des autres pianos. En effet, même si sa forme classique le présente comme ordinaire, en prêtant un peu plus attention on peut remarquer tout d’abord une décoration tout en finesse.

Belles poignées de transport en bronze.

Un très beau relief sous forme de feuilles d’acanthe borde sa façade vitrée ce qui lui donne plus de profondeur qu’un simple dessin ou pyrogravure. Sur un côté on remarquera un dragon gravé et rehaussé de dorure, et, au centre haut de la façade, un autre relief également peu vu, celui représentant une tête de femme. Mais je crois que le plus surprenant, c’est de retrouver de curieux pieds sculptés en forme de dragons ailés. Ça, c’est du jamais vu, parole de Marcel ! Fort est de constater que l’aspect extérieur de ce piano a été particulièrement soigné, jusque dans les poignées en bronze situées de chaque côté, sur les flancs de ce dernier.

Elles sont finement ciselées se terminant en pattes de lion et signées par L. Pinet, célèbre pour ses créations d’articles décoratifs pour pianos entre autre (Poignées, bougeoirs, etc…).

Latéralement, les panneaux sont gravés d’un rare décor au dragon qui font pendant aux pieds du piano.

Les deux pieds du piano représentent un dragon ailé. A de très rare exception et seulement pour des pièces de prestige destinées initialement au marché extrême oriental, il est peu fréquent de voir ce type d’influence décorative en musique mécanique.

Venons-en à la partie musicale… Créé vers 1912, ce piano à l’origine offrait une gamme de musique en vogue à cette époque. Valse, java et autre one-step avaient été retranscrits par un noteur sur le cylindre de bois. Et cela Marcel le découvre car il retrouve sous la carte des airs visible aujourd’hui sur le côté de l’appareil, une autre carte d’aspect plus ancien.

La première carte des airs a été miraculeusement conservée sous la seconde.

L’actuelle carte des airs, la seconde dans la vie de ce piano, met en évidence l’évolution des goûts musicaux que le piano à accompagné au risque de se voir mis au rebut dans un cas contraire.

Ecrite à la plume comme il était de coutume à cette époque et mentionnant les airs courants de cette période avec le nom de leur créateur. (Thé tango de Borel-Clerc, griserie de Bosc, etc…) Alors pourquoi une seconde carte me direz-vous ? Tout simplement parce que le cylindre a été “repiqué”…

C’est à dire qu’au lieu de le remplacer purement et simplement par un autre, on aura préféré changer les clous et re-noter d’autres musiques plus “moderne”. Un “repiquage” qui doit dater de 1920/1925 étant donné les airs présentés. En s’approchant de plus près, on voit bien les traces des anciens clous par endroit sur le cylindre, ce qui confirme cette opération.

Ce “repiquage” est une curiosité, était-ce par souci d’économie… Les nouveaux airs notés sont assez intéressants. (Le charleston “Shake a little shoulder” de Penso, le fox-trot “Marrakech” de Padilla, etc…).

On retrouve bien le style des “années folles”, des musiques enlevées, des rythmes plus soutenus qui changeaient des valses et paso d’avant…

Le Black-Bottom, le Charleston faisaient leur entrée, une véritable révolution musicale ! Quoiqu’il en soit, il n’est pas très courant de voir ce genre de musique sur les pianos automatiques. Voilà donc encore un élément curieux et original de ce piano. Décidément Marcel a su flairer le “bon coup” ! Comme à son habitude…

Voilà, j’espère que ce voyage dans le “petit monde” de Marcel Mino vous a intéressé, je ne manquerai pas de vous informer de ses nouvelles trouvailles, par le biais bien sûr de notre chère revue ‘Musiques Mécaniques Vivantes’… A bientôt.