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(par Michel Trémouille et David Boinnard)

♦ Article paru dans le n° 100 de la Revue Musiques Mécaniques Vivantes de l’AAIMM ♦

La musique mécanique couvre une large palette d’instruments : pianos, violons, orgues, etc… mais je n’ai à ce jour trouvé aucune trace d’un clavecin dans la littérature consacrée à la musique mécanique. Pourquoi cette absence d’un instrument pour lequel les techniques d’automatisation employées pour le piano auraient été facilement transposables ? En fait, durant les quelques décennies de l’essor de la musique mécanique, je pense que le clavecin ne représentait pas un marché suffisant par rapport au piano pour que les principaux facteurs de l’époque s’y intéressent.
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Photo 1 – L’équipe Projet : de gauche à droite, Jean-Jacques Devulder, Michel Trémouille et David Boinnard

 

Notre histoire commence en septembre 2015 par une visite chez Mike Ames près de San Diego aux Etats-Unis ; quelle ne fut ma surprise de découvrir un clavecin au milieu d’une magnifique collection d’instruments de musique mécanique. M’intéressant bien évidemment à cet intrus, le propriétaire me précisa que c’était en fait un instrument qu’il avait construit et doté d’un système MIDI pour le faire jouer automatiquement. J’eus droit alors à un duo entre un Violon Mills (lui-même équipé d’un système MIDI) et un clavecin tout à fait inattendu.

Mon épouse et moi aimons beaucoup la musique baroque et c’est dans l’avion de retour que l’idée a commencé à germer de compléter notre collection par un clavecin MIDI.

Me sentant capable de mener les travaux sur le plan électronique et informatique, il me fallait trouver quelqu’un susceptible d’apporter ses compétences instrumentales.

Les moteurs de recherche sur Internet sont parfois magiques : frappant « clavecin » et « Nord » sur mon clavier je tombais sur un facteur de clavecin en banlieue de Lille à une dizaine de kilomètres de chez moi !

Je pris immédiatement mon téléphone et c’est ainsi que je fis la connaissance de David Boinnard : le fait qu’il ne me prenne pas totalement pour un fou dès ce premier contact téléphonique mit notre future collaboration sous de très bons auspices.

Une première rencontre eu alors lieu dans son atelier où David m’expliqua qu’il fabriquait des copies de clavecins anciens à partir de plans récupérés auprès des Conservateurs de Musées.

Même si le monde de la musique mécanique ne lui était pas tout à fait inconnu, la visite de ma collection quelques jours plus tard le fit plonger dans un univers dont il ne soupçonnait pas toutes les richesses (d’ailleurs, à peine rentré chez lui, il envoyait son bulletin d’adhésion à l’AAIMM…).

Nous adjoignant les compétences électroniques d’un ami de longue date, Jean-Jacques Devulder, l’équipe (photo 1) était au complet pour définir le périmètre de notre projet.

Notre cahier des charges fût rapidement arrêté sur les principes suivants :

  • Réaliser un clavecin automatique à partir d’un instrument fabriqué par David permettant de jouer un large répertoire de la musique baroque : le choix s’est porté sur un « Bellot » avec un clavier de 58 notes (voir l’histoire et une description de ce clavecin en fin d’article).
  • S’appuyer sur une norme standard pour le jeu automatique afin de pouvoir jouer le répertoire quasi infini des fichiers MIDI téléchargeables gratuitement sur Internet.
  • Doter le clavier de l’instrument d’un système d’enregistrement permettant de transformer en MIDI l’interprétation d’un joueur et de restituer le plus fidèlement possible cette interprétation.

Les principales étapes du projet

1. Le micro clavecin

David fabrique un clavecin de 5 notes (photo 2) permettant de mettre au point les dispositifs électroniques nécessaires au jeu et à l’enregistrement MIDI. Pour la partie MIDI proprement dite, notre choix s’arrête sur les cartes de décodage et d’encodage de la société Orgautomatech dirigée par Christian Blanchard.

Photo 2 – Le micro-clavecin, un clavecin de 5 touches construit par David spécialement pour les premiers tests

Le choix des électro-aimants s’avère plus délicat : le clavecin est un instrument beaucoup plus petit qu’un piano et la place disponible est relativement restreinte. A contrario, s’agissant d’une corde pincée, la force nécessaire au passage de la plume au-delà de la corde nécessite une force importante, l’encombrement de l’électro-aimant étant en général directement proportionnel à sa force.

Pour la fonction d’enregistrement, nous testons la solution de micro-switchs positionnés sous les touches du clavier.

Notre micro-clavecin fonctionne suffisamment bien pour que nous décidions de passer à l’étape suivante.

Une vidéo du micro-clavecin est visible ici

2. Le prototype : clavecin « Virginal »

Le répertoire sur un clavecin de 5 notes étant particulièrement limité, David propose d’utiliser un de ses instruments et de l’adapter pour l’équiper d’un système automatique.
Il s’agit d’un modèle « Virginal » (photo 3), petit clavecin de 42 notes, ayant la particularité de se poser sur une table ; l’idée est de réaliser un caisson contenant toute l’électronique et sur lequel viendrait se poser le Virginal. David se charge de la délicate percée d’une saignée sous la caisse du clavecin et de la réalisation du caisson.

Photo 3 – Le modèle “Virginal”, un petit clavecin de 42 notes qui se pose sur une table

Jean-Jacques et moi équipons le caisson des cartes MIDI, de la rampe d’électro-aimants pour le jeu automatique et de la rampe de micro-switchs sous le clavier pour l’enregistrement (photo 4).

Tout semble marcher techniquement mais c’est avec une certaine angoisse que nous assistons au premier test de l’instrument par un claveciniste, Olivier un ami de David.

Quelle sera sa réaction ? La dimension purement musicale sera-t-elle à la hauteur ?

Premier enregistrement… on lance juste derrière le jeu en automatique… réaction d’Olivier : « P…., je crois m’entendre !!! »

C’est gagné.

Grace aux introductions de David dans ce milieu, nous multiplions alors les enregistrements avec plusieurs clavecinistes afin de collecter leurs impressions sur le plan musical.

Photo 4 – Le caisson sous le Virginal avec sa rampe d’électro-aimants et la rampe de micro-switchs pour l’enregistrement

Nous pouvons en tirer les enseignements suivants :

  • Le choix d’un enregistrement par micro-switchs (absence d’enregistrement du toucher) n’est pas pénalisant sur la majeure partie du répertoire baroque, ces pièces ayant la particularité d’un jeu souvent très rapide sur des notes courtes.
  • Contrairement au piano, c’est surtout sur le lâcher de la touche que le claveciniste introduit des nuances notamment dans des pièces romantiques plus lentes.
  • Les micro-switch placés sous les touches introduisent une résistance et, plus gênant pour le claveciniste, un effet rebond lors du relâchement de la touche.
  • Les électro-aimants ont une force suffisante sur le « Virginal » qui ne joue que sur une seule corde ; pour le projet définitif sur le « Bellot » qui joue sur 2 cordes, des électro-aimants plus puissants mais d’un encombrement comparable doivent être trouvés.

Globalement, les résultats obtenus sur ce prototype sont suffisamment satisfaisants pour que nous décidions de passer au projet définitif.

Une vidéo du clavecin Virginal en jeu automatique est visible ici

3. Le clavecin « Bellot »

David a déjà commencé la fabrication du clavecin et il s’agit d’être prêt à l’équiper de son système automatique dès sa naissance.

Quelques nouveautés et améliorations par rapport aux étapes suivantes sont à intégrer :

  • Test et mise en place de nouveaux électro-aimants plus puissants.
  • Remplacement des micro-switchs par un système d’enregistrement optique sans contact supprimant tout effet indésirable pour le claveciniste.

Le « Bellot » possède 3 registres : un grand 8 pieds, un 8 pieds et un luth (photo 5).

Photo 5 – Le clavecin Bellot terminé (58 notes et 3 registres)

 

Les registres sur un clavecin sont constitués de tirettes transversales déplaçant les sautereaux de façon à jouer une ou l’autre corde ou les 2 de manière très légèrement décalée ; le luth fonctionne sur le même principe mais vient coller un étouffoir sur la corde pour en modifier le son.

Souhaitant automatiser les registres, nous décidons d’installer 3 servomoteurs pilotés par un ordinateur embarqué Arduino chargé d’interpréter les ordres MIDI de commandes des registres (photo 6).

Photo 6 – Le piétement du clavecin Bellot avec sa rampe d’électro-aimants et l’Arduino pour le pilotage des registres

Toutes ces nouveautés ne sont pas sans nous causer beaucoup de soucis : réglage particulièrement pointu des capteurs optiques, placement des servomoteurs dans un environnement très restreint et peu accessible, traitement des flux MIDI par un programme Arduino adapté, etc …

A force d’imagination et de ténacité (mais toujours dans la bonne humeur…), le grand jour arrive enfin et c’est le 26 juin que le clavecin « Bellot » sort de l’atelier de David pour rejoindre son logis définitif et ses congénères en musique mécanique et automatique.

Une vidéo du clavecin Bellot en jeu automatique est visible ici

Intégré dans un ensemble d’instruments midifiés, le clavecin vient harmonieusement compléter un ensemble (clavecin, piano, orgue, accordéon) ouvrant à de nouvelles instrumentations (voir la vidéo ici)


 

Le clavecin de Bellot 1729

L’original est conservé au musée des Beaux-Arts de Chartres.

 

De cette dynastie de facteurs parisiens des XVII et XVIII siècle il ne nous reste que deux instruments :

Un clavecin à un clavier fabriqué par Pierre Bellot (sûrement Pierre 1 dit le père) en 1729.

Un clavecin à deux claviers (conservé au Metropolitan Museum of Arts à New York) fabriqué en 1742 par Louis Charles Bellot (Deuxième fils de Pierre).

L’instrument dont il question ici est intéressant à plus d’un titre.

C’est le seul représentant de la facture de clavecin parisienne de la période charnière entre le XVIIème et XVIIIème siècle.

Il est très court.

C’est un des rares clavecins conservé à un clavier de l’école française (parisienne).

Il possède une splendide décoration de chinoiserie.

Long de 1,90m il est plus court d’une trentaine de cm que les standards de son époque. Sa tessiture va du SOL grave au mi aigu pour 58 notes. Ce sont les premiers grands claviers chromatiques dit à « ravalement ». Ce qui permet de jouer la plus grande partie du répertoire de clavecin.

Son architecture est conforme aux meilleures traditions de l’époque. Il est construit avec une structure assez légère, sa caisse étant posée sur le fond.

Sa table d’harmonie est remarquable car son barrage en arête de poisson est une marque typique du XVIIème siècle.Ses caractéristiques sonores sont parfaitement équilibrées. Elles donnent la précision d’attaque et la richesse du timbre nécessaire à la musique du XVIIème encore emprunte des règles contrapuntiques où l’équilibre des voix doit être perceptible à l’auditeur. Mais il possède aussi la profondeur et la rondeur des instruments plus tardifs mettant bien en valeur la richesse harmonique d’un Jean Philippe Rameau ou les subtilités de François Couperin.