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par Michel TREMOUILLE

♦ Article paru dans le n° 91 de la Revue Musiques Mécaniques Vivantes de l’AAIMM ♦

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Cet article présente l’histoire d’un orgue de résidence Aeolian fabriqué en 1913 et dorénavant installé près de Lille.


 

Photo 1 – Le rouleau 116 notes noté sur 2 claviers avec les indications de changements de registres

L’orgue Aeolian est probablement le plus imposant instrument de musique mécanique jamais construit.

En fabriquant cet orgue de résidence, Aeolian ciblait les propriétaires de très grandes maisons bourgeoises, amateurs de musique classique et désirant posséder un instrument capable d’interpréter les plus grands airs avec la puissance et la richesse musicale que seul un orgue philarmonique peut restituer.

Le fonctionnement automatique avec un rouleau de papier permettait au propriétaire, la plupart du temps non musicien, d’interpréter les œuvres des plus grands compositeurs classiques (Mozart, Beethoven, Grieg, Wagner…) lui permettant d’offrir à ses invités des concerts prestigieux.

Il s’agissait d’une réelle interprétation puisque le rouleau ne comporte que la notation de la mélodie, les registres devant être commandés par l’interprète du rouleau.

En fait ce rouleau comporte 116 notes, 2 fois 58 notes lues sur une double flûte de Pan avec des perforations en quinconce permettant de commander 2 claviers (photo 1). Les commandes de registres sont inscrites sur le rouleau pour indication, libre à l’interprète d’adapter sa propre registration. Ce processus peut apparaître compliqué et il nécessite d’ailleurs un certain entrainement ; il contribue toutefois au bonheur procuré par l’instrument en permettant d’effectuer sa propre interprétation du rouleau en véritable chef d’orchestre commandant l’intervention des violons, des trompettes, des hautbois, etc…

Aeolian fabriquera par la suite des orgues à registres automatiques (Duo-Art Pipe Organs) avec des rouleaux plus larges.

On estime à plus de 1200 le nombre d’orgues Aeolian fabriqués ; seuls environ 200 (dont 150 en Grande-Bretagne) furent installés en Europe, la grande majorité étant destinée à la clientèle américaine.

Aeolian publia successivement 6 catalogues de rouleaux 116 notes pour près de 1300 titres ce qui donne à cet instruments un répertoire très important et diversifié sur plusieurs centaines de compositeurs des plus classiques (Bach, Beethoven, Handel, Haydn…) aux contemporains de l’époque (Chaminade, Debussy, Elgar…).

Un peu d’histoire

Chaque orgue sortait des ateliers d’Aeolian avec une plaque d’identification ; celle de l’orgue qui nous occupe porte le numéro 1266 avec une mention très particulière et peu fréquente sur ces instruments « The Aeolian Company Paris ».

L’orgue fait l’objet d’une première commande en mai 1913 par Victor Peters un industriel d’Epinal. Cette commande est complétée par une seconde commande en août 1913 ajoutant 4 registres supplémentaires ainsi que 2 dispositifs développés par Aeolian permettant d’enrichir la registration de l’orgue : un carillon de 20 cloches et une « Harpe Aeolian » , sorte de métallophone comportant des résonateurs accordés.

L’orgue est livré à Epinal par Aeolian en novembre 1913.

Après des études à l’école des Arts et Métiers de Chalons et à l’école de filature et de tissage de Mulhouse, Victor Peters débute sa carrière professionnelle dans les ateliers de construction mécanique de Bitschwiller, sa ville de naissance ; il en prend rapidement la direction.

En 1880, il fonde une petite entreprise de filature et la développe considérablement en y ajoutant notamment une activité de tissage.

Il meurt en 1919 dans sa 76ème année et ses héritiers décident de céder l’instrument.

Il est racheté par Charles Audibert qui l’installe dans sa résidence (photo 2) en septembre 1919 à Monaco.

Photo 2 – L’orgue Aeolian tel qu’il était installé à Monaco (on distingue les tuyaux de montre et la console sur la droite)

Charles Audibert, un banquier parisien, était un conseiller financier et homme de confiance d’Aristote Onassis ; il assiste notamment ce dernier lors de sa prise de participation dans la Société des Bains de Mer (SBM) contrôlée par l’état monégasque. Il entre alors au Conseil d’Administration de la SBM.

Il semble que Charles Audibert était lui-même organiste ; l’instrument aurait donc à cette époque été utilisé aussi bien en mode manuel qu’en mode automatique.

Photo 3 – Portrait retrouvé au fond d’une caisse de l’orgue et supposé être celui de Charles Audibert

L’orgue est démonté et stocké dans un garage en 1985 où il restera en sommeil pendant plus de 20 ans.

 

L’orgue reprend vie

Alerté de l’existence de cet instrument par notre regretté ami Philippe Rouillé, c’est en 2005 que je rachète cet orgue… sans l’avoir vu mais confiant dans la recommandation de Philippe et l’avis technique de Patrick Desnoulez.

Péripétie inattendue, le transport ne se passe pas dans des conditions idéales et c’est un fatras de tuyaux, sommiers, soufflets, câbles électriques, etc… que je reçois dans le désordre le plus complet (photo 4).

Première opération : faire un tri et un inventaire complet. Avec l’aide de Xavier Szymczak, nous passerons 4 jours complets à reconstituer la disposition des différents sommiers et des porte-vents ainsi qu’à trier les tuyaux par registres.

Mais la restauration proprement dite est une autre affaire et peu envisageable tant que j’exerce une activité professionnelle : il faut donc me résigner à réserver ce passionnant projet pour ma retraite.

C’est donc en juillet 2010 que débute réellement le travail de restauration avec en préalable la construction d’un bâtiment permettant d’accueillir l’instrument car, vu sa taille, dans notre habitation, c’était lui ou nous !

Pendant la construction du bâtiment :
- Les sommiers globalement en bon état sont envoyés à la manufacture d’orgue Koenig pour une indispensable révision.
- Les flûtes sont confiées à Xavier Szymczak pour un important travail de restauration, relevant dans certains cas plus du sauvetage que de la restauration proprement dite.

Photo 5 – L’orgue prêt à être remonté dans son nouveau local (à gauche Alain Gaulier)

C’est donc en octobre 2010 que l’ensemble du matériel est rapatrié près à être remonté dans son tout nouveau local (photo 5).

Comme l’ont très bien décrit Anthony Chaberlot et Christian Fournier dans leur article sur la restauration de l’orgue des Gets (cf MMV n° 32 du 4ème trimestre 1999), l’orgue Aeolian fonctionne de manière électromagnétique ; la première tâche était donc de reconstituer toute la logique de câblage, aucun plan n’étant bien entendu disponible.

L’implication et les précieux conseils de mon ami Alain Gaulier me furent à ce stade indispensables aboutissant à une première victoire le jour où, appuyant sur une touche du clavier, nous entendîmes une première flûte jouer ; une énorme joie pour une toute petite victoire au bout de 4 mois d’intense travail ! Anecdote inoubliable : lors d’un premier essai, la flûte ne jouait pas et c’est après de multiples recherches que nous avons découvert que ce n’était pas dû à un problème électrique mais qu’en soufflant dans la flûte, celle-ci était muette…

Les boursettes de lecture automatiques sont refaites et les contacts électriques réglés : la lecture automatique des rouleaux est opérationnelle.

Photo 6 – Xavier Szymczak lors de la phase d’harmonisation et d’accord

En juillet 2011, Xavier et sa compagne Caroline peuvent effectuer l’harmonisation et l’accord de l’instrument (photo 6) et, grand moment, nous pouvons écouter nos premiers rouleaux. Xavier et moi nous souvenons encore avec émotion de notre première écoute de la « Chevauchée des Walkyries ».

Deux éléments font ensuite l’objet d’une restauration quasi complète : le carillon et la harpe.

La reconstruction des 2 boîtes d’expression équipées de leurs systèmes de jalousies et la mise en place d’un nouveau buffet d’orgue à partir des tuyaux de montre existants concluent le projet.

Après 2 ans de travail et un second accord en juillet 2012, l’orgue a retrouvé toute ses possibilités (photo 7).

L’orgue est constitué de :
- La console avec 2 claviers + pédalier + pédale de plein jeu
- Un sommier Principal comportant 13 registres + Trémolo + pédale d’expression
- Un sommier d’Echo comportant 4 registres + Trémolo + pédale d’expression
- Le carillon
- La harpe

Concession à la modernité mais sans rien altérer de son fonctionnement d’origine, en collaboration avec Tony et Franck DECAP, un système MIDI est ajouté permettant d’enregistrer les rouleaux 116 notes et de les restituer à l’identique ; à noter que dans ce mode de fonctionnement, la registration devient elle aussi automatique.

Une belle aventure dont vous pouvez apprécier le résultat en image et en musique en cliquant sur ces liens :

Photo 7 – L’orgue Aeolian restauré